Petit récit de notre dernière journée de chasse (France), dimanche dernier
Il a dû faire la java toute la nuit
Saint-Emilien de Blain, dimanche 16 janvier 2011, dernier dimanche de chasse de la saison.
- T’as pas oublié ta cartouchière cette fois-ci ?
- Non, j’ai tout.
8 h 30. Comme chaque jour de chasse, le Setter nous fait la fête à notre arrivée chez mon oncle à la Ballerie.
- Qu’est-ce que tu veux Agnès ce matin ?
- Allez, un sanglier, un chevreuil et un lièvre, répond ma tante en souriant.
Le chevreuil est soumis au plan de chasse sur la commune, le lièvre est fermé depuis un bon bout de temps déjà... Et puis, le congélateur déborde… Au mieux, on aura peut-être un lapin ou alors une bécasse, il y en a le long du ruisseau. Dernier jour, ne pas rentrer bredouille ce serait sympa, mais bon… Ah c’est vrai ce midi, on doit manger chez Angèle. Quelle idée elle a eu, on en a pour trois heures, j’espère qu’elle se rappelle que Kader ne mange pas de porc, pas de pâté, pas de charcuterie… non, non c’est pas son cholestérol. Du coup, on va rater les pieds de veau et le pique-nique de fin de saison de Kader. Remplacé par une galette à 16 h. Ah bon, et on chasse quand alors ?
8h50. C’est l’heure. On embarque les chiens dans le coffre. Les deux chasseurs grimpent dans la voiture, Quentin qui n’a pas encore son permis est à l’arrière, je conduis. David est comme toujours encore en espadrilles.
8h55. La voiture démarre. Oh, on ne va pas bien loin, deux petits kilomètres plus loin, au point de ralliement habituel.
- Prune, arrête de bouger !
8h57. On a fait 600 mètres. Comme à chaque fois on a donné un petit coup de klaxon pour prévenir Kader. A peine deux kilomètres, on n’est pas pressé… On va passer la route de Fay, la Tomerie sur la droite, des vanneaux à profusion sur le blé ensemencé…
- Merde, regardez-ça à gauche !
- C’est pas vrai ! Fais demi-tour !
- Oui, ben oui, j’fais au mieux, faut bien que j’aille jusqu’à la route là quand même !
- Vite, vite Quentin, passe-moi les bottes et 4 balles aussi !
- Oh, il va nous avoir.
- Pt’être pas, y’a le ruisseau.
- On descend là ?
- Non, non plus bas.
- Là, c’est bon, c’est bon, arrête-toi…
8h59. Coup de frein. On est quasiment revenus à la Ballerie, exactement devant l’entrée du champ des bécassines. Les portes s’ouvrent en une fraction de seconde, pas le temps de prendre les vestes, ni la cartouchière... Les portes claquent. Dans le coffre un Epagneul et un Setter, forts mécontents de rester emprisonnés. Dans le pré mouillé, deux chasseurs et un rabatteur qui courent, courent, courent…
La voiture de Kader arrive à mon niveau.
- Changement de programme, faut foncer en haut de chez Didier.
- Quoi, quoi, qu’est-ce que c’est ? Un mastoc ?
Depuis des mois, Kader voit des pieds de sangliers partout, des gros, des mastocs comme il dit. Toujours des traces toute fraiches… une heure avant, une demi-heure, dix minutes peut-être… mais jamais on ne les voit. Ah si, c’est vrai. Kader a failli en avoir un, la seule fois où il est reparti après la sieste en oubliant les balles sur le buffet, la seule fois…
- Jamais je n’oublie mes balles, elles sont là !
- A quoi, 15 mètres, pas plus…
- Et alors ?
- Alors j’ai pas tiré, pas de balles, je m’en veux…
- S’il franchit le ruisseau tu le récupères de l’autre côté, tu te mets près de l’étang, en bas.
- David passe de l’autre côté, avec Quentin on longe du côté droit.
- Il va traverser et rejoindre les sapins.
Le cœur doit battre à 120 à l’heure, on ne s’est pas échauffé avant… Il faut courir, courir aussi vite que lui, il va franchir le ruisseau c’est sûr… ou c’est déjà fait. Non, dans ce pré, je l’aurais vu. Il doit longer, il est sûrement du côté de Didier…
Non mais qu’est-ce qu’il fait à se balader à 9 heures du matin celui-là ? Il a dû faire la java toute la nuit, sorti en boite et le voilà qui rentre avant de se faire engueuler. Un p’tit jeune quoi !
Le souffle est court, les foulées s’enchainent, rapides... Nous aussi le souffle est court qu’est-ce que tu crois et on s’est pas échauffés. Il va traverser, mais où ? C’est fichu, je l’ai perdu. Oui ben nous aussi.
9h 08. Encore mon père qui téléphone, c’est trois ou quatre fois par dimanche.
- Alors ?
« Alors », c’est son mot.
- Non, je l’ai perdu, c’est foutu. Non, je le vois…
Mon père raccroche aussitôt. Les foulées reprennent rapides, le souffle est très court. Stop ! Il s’arrête. Moi aussi. Il m’a vu. On se regarde quelques secondes, impression bizarre. Ça repart, je n’en peux plus, je tousse, je crache, on va arriver en limite de commune en plus. Ça y est, il traverse le courant.
- Regarde David, il se baisse, il a dû le voir.
Je profite de la haie de ronces qui sépare les deux champs pour me masquer un peu. Il est fou ou quoi, il vient dans ma direction…
Kader est descendu près de l’étang, il sait que c’est un passage idéal si la bête veut rejoindre les sapins, nerveux, l’occasion de se rattraper... Je suis sur la butte et scrute inlassablement de gauche à droite, Kader est à ma gauche en contrebas, impossible de voir les autres. Deux minutes que j’ai appelé David…
Mince, il file vers la ferme. Pas question de tirer. Ou dans le fouillis à côté, j’ai pas de chien. L’idiot, il bifurque. Il va me passer entre les deux bouées de ronces. J’épaule…
Ça fait bien trois minutes que je l’ai appelé, rien qui remonte vers nous.
9 h 11. Bing ! Bing ! J’entends la bête hurler, je suis à 500 mètres pourtant, mais en surplomb. Coup de fil, c’est David. Deux coups, il l’a eu ou pas ? Ah, mais je l’ai entendu gueuler.
- C’est bon !
- Kader, remonte, c’est bon !
- Première balle, je le rate.
- C’est pas vrai.
- Au dessus, c’est sûr, je tire toujours au dessus.
- Balle de colonne.
- Tu vois j’étais là, je l’ai vu arriver par là, je me suis caché derrière les ronces, il est passé là, trente mètres maxi…
- 55, 60 peut-être.
- Un mâle.
- Oui, il est beau.
- Bravo David !
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Luigi