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«Réflexions matinales» d'un chasseur de dindon.

Bon nombre de non-chasseurs se demandent comment peut-on faire pour passer une journée à l'affut, à quoi peut-on bien penser, qu'est-ce qu'il y a d'intéressant à attendre une proie qui s'ignore. Ce bref article présente, sans prétention, ce qui s'est passé dans ma tête lors de trois jours de chasse au dindon ce printemps. Il ne prétend pas représenter l'ensemble des chasseurs québécois; il ne représente qu'une suite de pensées vagabondes écrites à main levée
 

9 avril, 5:00, 6ºC

Hier soir, vers 10:00, avant de me coucher, m'est venu à l'idée de raconter mes trois prochains jours de chasse dans la région de Drummondville. Une histoire de chasse différente... je crois. J'écrirai donc sur mon cellulaire les pensées qui m'habiteront. La chose n'est pas désagréable, au contraire. Nous y voici. Je suis dans ma cache au sol, à la lisière du deuxième lot. Mon ami Richard est installé au sol à la lisière du premier lot à ma gauche, à l'orée de la forêt. Tout comme moi, il espère bien récolter un dindon cette année. C'est d'ailleurs lui qui m'a invité à chasser sur cette terre dont un couple d'amis sont propriétaires. J'en suis bien heureux.

On aperçoit la silhouette des dindons perchés dans un tremble à 100 mètres où Richard se trouve. Adossé à un arbre, habit camo 3D, en silence, il attend leur apparition à portée de tir. Les dindons commencent à glouglouter. Je monte ma cache en vitesse, ça fait du bruit. Le bruit à la chasse c'est mortel pour le chasseur. J'installe mes appelants de mâle et de femelle, entre dans ma cache, saisit mon appeau et lance un appel de femelle.




6:06

Glouglou, les dindons sont sur un autre lot. J'essaie bien de les attirer. Incapable. Ils répondent à mes appels de femelles mais, indépendants, ils poursuivent leurs routes

6:56

C'est tranquille côté dindon. On entend les outardes se frayer un chemin dans l'air immobile. J'envoie un SMS à Richard pour prendre de ses nouvelles et en donner des miennes. Le soleil se trouve une place dans l'une des ouvertures de la cache et réussit à lécher mon visage. Ça fait du bien. Je grelotte et j'ai les orteils du pied droit gelés. L'odeur du champ commence à se pointer et le son des voitures de l'autoroute brise le confort naturel. Une brise se lève et les moustiquaires de la cache battent au vent. C'est pas chaud tout d'un coup.

Je ne peux m'empêcher de penser au bureau, c'est-à-dire, à mon ancien boulot. Maudit que l'on est bien à la retraite. Actuellement, mes anciens collègues préparent le déjeuner, prennent leur café, s'occupent des enfants et pensent à la journée qui s'annonce. Le stress commence à se vouloir être l'ami insupportable qui vous accompagne quand vous n'en avez pas la moindre envie.

C'est drôle comme la notion du temps qui s'écoule prend des dimensions variables. L'attente d'un taxi, d'un autobus, d'un appel peuvent parfois paraître une éternité. Ici le temps prend sa dimension réelle et s'écoule à une vitesse «naturelle» sans stress déformant.

7:10

Le gloussement des dindons attire mon attention. Ils sont loin. Yap, yap, yap, yap. Je lâche quelques appels de femelles sans réponse.

7:14

Je pense à la partie de l'Impact de Montréal d'hier soir contre l'équipe mexicaine America. Une belle première demie. La deuxième a mis fin à un rêve irrationnel.

7:15

Je lâche un call de femelle sans réponses. Aie! Deux oiseaux se posent à 100 mètres de ma cache. Merde, j'ai pas mes jumelles. Je crois que ce sont des pluviers.

7:19

30 minutes se sont écoulées depuis le début de mon récit. La chasse, c'est un peu comme ça. Un temps pour soi, pour sentir et observer ce qui nous entoure. Pour certains, cela pourrait sembler une éternité. Le firmament a changé. Les nuages s'étirent au-dessus de l'horizon au sud. Une belle journée qui s'annonce.

Avant-hier, je transcrivais des recettes de dindons sur chevreuil.net. J'avais bon espoir de pouvoir initier des amis à savourer le dindon. Actuellement, j'ai des doutes sur le menu.

Mes orteils sont encore gelés et j'ai le frisson. Je crois qu'il y avait de l'humidité dans mes bottes. Je ne me suis pas habillé assez chaudement. Des corbeaux croassent au-dessus de moi. C'est spécial le langage des corbeaux. Ça en placotte un coup. Ça se raconte des histoires et se tirent la pipe sans arrêt.

Mes appelants de dindons sont toujours là. Ils attendent de la compagnie. Je les trouve un peu snobs. J'aurais du choisir un couple un peu plus enjoué, un peu plus de party. Ça aurait peut-être aidé.

Richard me texte. Il a le goût de partir. Je lui propose d'attendre encore un 20 minutes au cas où la situation changerait. Pour le moment, aucun dindon dans les environs. Ils sont partis galvauder ailleurs. Je crois que j'ai fait trop de bruit ce matin. Malheureusement, il est fort possible que l'on va manger des ailes de poulet plutôt que des ailes de dindon. Sur le coup, j'ai un flash de Fred Caillou. 


Deuxième journée de chasse

7 mai 2015, 4:50,

Nous sommes à la fin de la pleine lune, celle-ci éclaire les champs et la lisière de la forêt. Les premiers glouglous des dindons se font entendre. C'est le chant du coq, version dindon finalement. Le soleil se lève à l'est. Une autre journée magnifique s'annonce. Depuis quelques instants à peine, on entend les perdrix battrent de l'aile. Le printemps est enfin de retour et la saison des amours est commencée. Les dindons s'y mettent également.




5:26

Merde, plus aucun appel. Cibole, ils sont partis. Ils ont dû me voir bouger. Je ne sais pas. Pourquoi je n'arrive pas à les faire approcher de mes appelants.

J'entends un pic bois pas très loin et les oiseaux gazouillent et s'en donnent à coeur joie. Je vois un dindon au loin. Je lâche un call. Ils répondent à mes appels mais ils se sont éloignés. 

5:30

Aucune réponse. Je ne les entends plus. J'ai fait une erreur et je ne sais pas laquelle. L'air est frais. 6ºC. Ça sent le fumier. On dit que c'est bon pour la santé. Un doute m'assaille. On est bien; une tranquillité apaisante s'installe. Le temps s'arrête, tout au moins il est au ralenti. Un dindon au loin ne répond pas à mes appels, trop préoccupé par une femelle à la plume légère j'imagine.

Yap, yap, yap, yap, je lâche de nouveau un call... rien. J'ai un flash sur le pont Champlain. Quelle tourmente, congestion, bruit, stress, préoccupations... tout ça ne fait plus partie de ma vie. Tout au moins, je peux maintenant choisir autant que possible mes heures de déplacement. Je dois revenir au présent. Avoir conscience du ici et maintenant. La chasse, c'est un territoire intérieur à explorer sans cesse.

Un coup de feu sur la terre d'à côté se fait entendre lourdement. Ça commence à sentir le dindon rôti. J'imagine que la chasseur d'à coté a été plus chanceux que moi. Les oiseaux se remettent à chanter immédiatement après. C'est comme si rien ne s'était passé. La vie continue sauf pour un dindon. Les gens paient une fortune pour manger biologique. Pour les chasseurs, la viande sans hormone, c'est naturel. On n'apprécie pas toujours les chasseurs mais on fond de soi on envie ce qu'ils mangent. Nombreuses sont les personnes qui n'ont jamais mis les pieds dans le bois de leur vie et critiquent les chasseurs et moralisent sur le contrôle des armes à feu. Dire que lorsque l'on demande à des enfants de dessiner un poulet, certains dessinent des croquettes McDonald.

Un orteil gelée me tire de mes pensées négatives. Heureusement, c'est passager. Ça va se réchauffer tout à l'heure.

Les carouges courtisent les femelles et les oiseaux chantent. Je crois que le dindon m'a vu bouger tout à l'heure. Je n'ai pas d'autres explications. WOW, une chouette vient de passer au-dessus de ma tête. Pas de bruit, ça se déplace comme le vent.

6:24, 5ºC

Tabarouette, ça prend du temps à se réchauffer. Venez les dindons. Ça me prendrait un drône pour m'indiquer où ils sont. Je ferais comme l'épervier ou la buse, à l'affût du haut des airs à chercher la proie.

On dirait que les feuilles vont s'ouvrir aujourd'hui tellement que ça verdit. Un call... un dindon au loin à 300 verges environ. J'essaie un autre appel. Je ne le vois plus. Ça y est, je le vois. Je ne le vois plus, il a disparu. Pas facile. Le dindon est très méfiant. On y voit seulement la tête dépasser des pieds de maïs. Je ne le verrai plus. Probablement qu'il cherche ses copains ou ses copines. Les dindons sont plutôt grégaires.

Le soleil perce dans la cache et me réchauffe. Je le revois. Il s'est approché à distance de tir. C'est une femelle. Je n'ai pas le droit de tirer. Peut-être que le prochain sera un mâle. Je me sens plus en confiance. J'ai le pied droit gelé. Il y avait de l'humidité dans mes bottes. Je vais les mettre au soleil cet après-midi. Le dindon, ça call de bonne heure le matin. J'ai l'impression que par la suite il se fait plus discret. Ça voyage aussi. Ça va de terre en terre. Ça connaît pas les frontières. Un dindon, ça parcourt un territoire le temps de le dire.

J'entends des canards. La prochaine fois, j'apporte mes jumelles. J'ai encore oublié Je vais en laisser une paire en permanence dans mon sac à dos. Le soleil me réchauffe enfin. Ça fait du bien.

8:57

Deux dindons à 277 verges. On ne sait jamais. La chasse arrête à midi. Rien n'est fini.

9:03, 10ºC

La température s'améliore.

9:39

Une autre femelle à l'horizon à 170 verges.

10:10, 20ºC

Rien en vue. Le pic bois est en train de s'organiser pour aller faire un tour chez le physio s'il continue à ce rythme. C'est tout de même tranquille. Les oiseaux se taisent. Comme si tout se passe entre 6 et 8. Après, une certaine tranquillité s'installe.

10:30

Je vais plier bagage, aller prendre un café et manger un peu. En PM, une sieste et lire un peu. Je vais aussi prendre une marche. Pourquoi pas?

Aucun dindon en vue. Je suis levé depuis 3:15. On lève le fly. Demain, on se reprendra.


Troisième journée de chasse

Le 8 mai, 4:30

Je suis installé dans ma cache à environ 100 mètres du dortoir des dindons. Ces derniers sont perchés dans un gros tremble à l'orée du bois. La lune est à 80% pleine. Un des mâles commence à glouglouter.

5:00

Les dindons descendent de leur arbre et volent jusqu'au champ à environ 200 mètres de moi. Je fais quelques appels sans succès. J'entends d'autres appels de femelles. Ou bien, celles-ci se font la compétition pour attirer le mâle dominant ou bien un autre chasseur compétitionne avec moi pour les attirer.

5:27

C'est tranquille. Ni son ni visuel de l'oiseau. Ils sont insensibles à mes appels. On pourrait dir fier comme un dindon. J'ajouterais indépendant comme un dindon. Une outarde sillonne le ciel à la recherche de sa gang. Tiens, un dindon à l'horizon qui se pavane. 335 verges à 3 pieds du cul de 3 femelles. Il se pavane et Monsieur fait son frais. Comment rivaliser avec ça. Ils se dirigent dans un champ plus au sud.

Pas chanceux ou mauvais chasseur. That's the question! J'ai un doute sur l'efficacité des caches portables. Il y aura de la «butterball» aux fêtes cette année.

5:49

La journée est jeune. Je me donne jusqu'à 9:00. Après je pacte les petits et de retour à la maison, un bon livre, un peu de soleil et repos et souper en amoureux. Tiens, je ne sais pas si le CH a gagné hier soir. J'étais couché à 8:30. Je vais aller voir sur le web. Merde de merde de merde. Ça va mal à shop! On ferme ça et on profite du moment présent... mais quand même tabarslak!

6:00, 9ºC

Tout de même frisquet. En cette période-ci, le dindon est commandé. Il passe la majeure partie de la journée à courtiser les femelles et croyez-moi elles se font désirer ces demoiselles. Le damoiseau est patient et les préliminaires sont longs.

Je m'habitue à l'odeur du fumier. Une bonne douche en arrivant sera nécessaire.




6:23

Je vois quelques dindons au loin. C'est pas un grand troupeau. Ça me tente d'aller sur la terre d'à côté et essayer de leur couper le chemin. J'ai le feeling qu'ils vont faire le même pattern qu'à ma première journée. Oui, je vais essayer.

6:50, 10ºC

Je me suis approché mais ils sont trop loin encore. Au bout du champ.

7:23

De retour à ma cache. Peine perdue, tristesse au c?ur. J'ai l'impression d'être le dindon de la farce. Ma stratégie n'a rien donné sauf une dépense de cent quelque calories peut-être. Ma diète s'en portera mieux.

Je vais faire appel aux membres du forum de discussion pour avoir le point de vue des autres chasseurs. Qu'est ce que je fais qui ne fonctionne pas ou qu'est-ce que je ne fais pas? Pas facile la chasse au dindon. Cet oiseau sauvage a su trouver les moyens de survivre avec l'aide de l'homme bien entendu.

J'aime bien la chasse au dindon. Ça nous fait vivre le printemps. Ça nous connecte avec la terre et ça se sent.

À 4:30, c'était une symphonie tellement les chants des oiseaux occupaient tout l'espace. À 7:00, c'était le va-et-vient des voitures et camions qui commençait à s'installer en compagnie des corneilles au loin.

Demain, j'irai à la pêche en kayak sur le fleuve. On va souhaiter que mes efforts soient récompensés. Des fois, les efforts ne suffisent pas. On doit bien connaître l'objet de nos désirs si l'on veut le conquérir. On en a toujours à apprendre. Ça fait tout de même partie du plaisir de la chasse et de la pêche.

9:00

Je vais partir. Ma chasse au dindon est terminée. Ce fut bien agréable même si je n'ai pas récolté. L'an prochain je serai de retour. D'ici là, je vais me préparer davantage.

Écrire pendant la chasse est un exercice agréable. La chasse au dindon le permet. Mais il ne faut pas se méprendre. La chasse au chevreuil, c'est pas pareil, t'as besoin d'être attentif tout le temps. T'as pas le temps d'écrire ton prochain article pour Chevreuil.net.

Si vous avez des commentaires ou des suggestions sur ma chasse ou sur mon article, n'hésitez pas à le faire à l'adresse suivante sur le forum.
http://www.chevreuil.net/forums/viewtopic.php?f=34&t=50094

Toutes critiques constructives sont les bienvenues.


Pierre Chabot

8 mai 2014

 


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