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La maladie du cerf fou contre le virus du viandeux
Louis-Gilles Francoeur
Édition du vendredi 13 octobre 2006
Mots clés : Québec (province), Sport, Maladie, cerf, virus du viandeux, chasse
Les chasseurs québécois ont un petit côté viandeux: ils aiment rapporter du gibier. Depuis une vingtaine d'années, toutes les techniques mises au point du côté américain ont été transférées de ce côté-ci. Il y a 20 ans, à peu près personne ne grimpait dans un mirador pour chasser le chevreuil ou l'orignal. Aujourd'hui, la plupart des chasseurs jouent aux singes dans les arbres avec force camouflage et leurres olfactifs. Jusque-là, tout va bien, mais l'appâtage intensif a suivi et les derniers magazines de chasse, qui épaulent constamment les vendeurs d'équipement, proposent maintenant aux nemrods des appâts contrôlés électroniquement, qui conditionnent les cerfs à venir déguster pommes et maïs aux heures de chasse plutôt qu'en toute liberté la nuit.
Nombreux sont ces pseudo-chasseurs racontant avec fierté qu'ils tuent sur leurs terres estriennes de quatre à huit cerfs par année, attirés en permanence par un tas de carottes de dix tonnes ! Récemment, un hurluberlu, qui se vantait de son «rendement» d'un cerf par année, racontait qu'il attend assis dans sa cuisine, carabine sur la table, que le cerf choisi vienne mettre le nez dans la mangeoire au bout du balcon. Et personne, aucune fédération dite sportive du domaine du plein air et encore moins les magazines de chasse et pêche, ne remet en question ces pratiques dégradantes qu'il faut ranger au niveau de l'infâme pseudo-chasse en enclos.
Mais ce sont peut-être les cerfs, et en particulier le «cerf fou», qui vont finir par remettre ces pratiques en question.
La maladie débilitante chronique (MDC) du cerf, une encéphalopathie spongiforme transmissible apparentée à la tremblante du mouton ou à la maladie de la vache folle, a récemment fait son apparition aux portes du Québec, dans l'État de New York. Cette maladie est déjà présente chez les cerfs sauvages de plusieurs États du centre des États-Unis ainsi qu'en Saskatchewan et en Alberta depuis cinq ans. Mais lorsque cette maladie a été diagnostiquée chez cinq cerfs d'élevage et deux cerfs sauvages en 2005 dans l'État de New York, on venait de découvrir une menace à nos portes, dont les origines demeurent inconnues. Chose certaine, ce ne sont pas des cerfs de l'Ouest qui ont marché jusqu'ici. Certains pensent que des éleveurs de cerfs auraient voulu profiter des ventes à rabais de moulées carnées, désormais interdites aux vaches et aux moutons pour éliminer le risque d'encéphalopathie, afin d'engraisser leurs cerfs à bon marché. En septembre 2005, on a aussi découvert quatre autres cerfs sauvages atteints de la MDC en Virginie occidentale. Au Québec, estime Michel Huot, responsable de la gestion des grands gibiers au ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), nous n'en avons pas encore trouvé, mais «c'est probablement une question de temps». Les services fauniques ont entrepris de préparer une contre-attaque afin de confiner le problème en retardant l'apparition de la maladie ou en limitant son expansion éventuelle.
Cette maladie se transmet principalement par la salive, les fèces, l'urine et la viande. Elle se transmettrait aux humains et à d'autres espèces animales qui ne peuvent pas lui opposer quelque remède que ce soit, ce qui en fait un ennemi public numéro un et une maladie à déclaration obligatoire. En laboratoire, on a assisté à sa transmission entre des cerfs sauvages et des bovins, ce qui pourrait encore une fois menacer notre industrie bovine. En raison du potentiel de transmission aux humains, on craint que la maladie du cerf fou n'entraîne une diminution radicale de cette chasse dans les régions où cette espèce est particulièrement populeuse, soit le sud de la Montérégie et de l'Estrie. Ces régions, qui affichent des populations de dix à douze cerfs au kilomètre carré -- plus que les lièvres --, devraient dans quelques années se retrouver avec des populations de quatre à cinq cerfs pour la même superficie parce que le plan de chasse régional prévoit d'importantes ponctions chez les reproductrices, protégées pendant des années pour accroître la population. «Comme la chasse sportive est notre principal moyen de contrôle des populations de cerfs, explique le biologiste, toute baisse de la popularité de cette activité poserait un grave problème de gestion globale, pratiquement insoluble.» Déjà, les cerfs trop nombreux de ces deux régions menacent les vergers, les plantations et les parterres, dévastent les champs et provoquent un nombre considérable d'accidents de la route.
On ne sait pas, explique Michel Huot, si le prion de la MDC est un virus, un rétrovirus, une bactérie ou un champignon. On sait toutefois qu'il peut résister à l'incinération et demeurer actif au sol pendant des années. Ce qu'on sait aussi, c'est que les cerfs se transmettent la maladie en partageant les mêmes aliments, comme les carottes des appâts. Ils se lèchent aussi entre eux. Dans l'Ouest, on a établi que des cerfs s'étaient transmis les prions fatidiques par l'usage de points d'eau communs.
«Comme on peut voir deux ou trois cerfs manger tour à tour sur la même carotte ou sur la même pomme d'un appât de chasse ou d'une mangeoire, il faut envisager d'interdire cette pratique puisque c'est un des principaux vecteurs de transmission des prions, explique le responsable de la grande faune. Ces pratiques ont été rendues très populaires par la chasse à l'arc, qui exige d'attirer les gibiers très près et que ceux-ci soient immobiles. La pratique s'est ensuite répandue aux autres chasseurs, au point où on assiste maintenant à des systèmes d'appâtage dont on peut même questionner l'éthique. Une famille de cerfs qui vit d'un tas de dix tonnes de carottes ou de pommes est aussi emprisonnée dans sa tête qu'un cerf en enclos.» Et pour le chasseur qui conditionne à ce point des animaux, le résultat, pourrait-on dire, est aussi indigne.
Le phénomène du nourrissage des cerfs à longueur d'année par des gens bien intentionnés qui veulent les admirer tous les jours est tout aussi potentiellement dommageable, et le gouvernement du Québec, auquel la Loi sur la conservation de la faune ne donne pas le pouvoir de réglementer le comportement des non-chasseurs, songe à introduire rapidement un amendement à la loi pour pouvoir interdire cette pratique. À l'heure actuelle, nos voisins du Sud, par qui ces techniques sont arrivées chez nous, ont entrepris de les interdire chez eux. Ainsi, le Maine, le Vermont et New York interdisent désormais tout appâtage du cerf à la chasse. En Ontario, la réglementation prévoit une telle interdiction au moindre cas de maladie du cerf fou. Tous les États voisins du Québec déconseillent le nourrissage, sauf New York, qui l'interdit avec quelque nourriture que ce soit, sauf avec des branches d'espèces arbustives naturelles.
Il n'est pas question, explique Michel Huot, de tuer tous les cerfs du périmètre immédiat où on aurait décelé un cas de MDC, comme on l'a fait pour enrayer l'expansion de la rage du raton laveur dans les régions voisines des mêmes États américains. Les cerfs, dit-il, se déplacent trop et vont trop loin. Mais le gouvernement favoriserait alors au maximum la récolte dans la région menacée afin de ramener les populations autour de un ou deux cerfs au kilomètre carré pour réduire les risques de contamination. Les cerfs abattus seraient tous analysés en moins d'une semaine et les chasseurs seraient informés de la contamination de leur trophée de chasse, le cas échéant.
D'autres règles sont à l'étude, que les États américains appliquent déjà. Ainsi, on songe à interdire l'importation au Québec des parties de cerfs abattus aux États-Unis et dans lesquelles les prions se retrouvent, par exemple la tête, les os, etc. Déjà, les Américains interdisent l'importation des cerfs québécois, y compris ceux abattus à Anticosti, où aucun cas n'a jamais été décelé. Le Québec est plutôt en retard de ce côté car aucune des règles de prévention n'est en vigueur alors qu'on a décelé des cas dans d'autres provinces et États voisins. Il faudra même éventuellement envisager d'interdire le transport des carcasses provenant de régions affectées ici même au Québec, explique le biologiste.
Une chose est certaine, conclut Michel Huot : la nécessité de réduire encore plus bas que prévu les populations de cerfs de la Montérégie et de l'Estrie va s'imposer à terme, tout comme celle de remettre en question plusieurs des pratiques d'appâtage et de nourrissage, que personne n'osait contester au nom de l'éthique de la chasse la plus élémentaire. Mais il est conscient «que ce sera difficile» car les fédérations auraient plutôt tendance à défendre les pratiques de leurs membres ou clients. Ce qui soulève une question intéressante : y aurait-il un problème de leadership et d'esprit critique dans les fédérations et parmi la gent journalistique du plein air ?
M.Michel Huot est actuellement le biologiste responsable du plan de gestion du cerf au MRNF. Croyez- vous maintenant qu'on devra parler d'appâtage au cours de l'élaboration du prochain plan?