À lire
COUR DU QUÉBEC
« Division des petites créances »
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE DRUMMOND
LOCALITÉ DE Drummondville
« Chambre civile »
N° : 405-32-006505-121
DATE : 25 septembre 2013
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GILLES LAFRENIÈRE J.C.Q.
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ONIL CARON
Demandeur
c.
YVETTE MURPHY
-et-
FERNAND LEQUIN
Défendeurs
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JUGEMENT
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CONTEXTE
[1] Le demandeur réclame des défendeurs le solde impayé d'une vente d'un territoire de chasse.
[2] Les défendeurs lui opposent la nullité de la transaction, puisque le demandeur ne pouvait leur vendre un territoire de chasse établi sur une terre publique[1].
LES FAITS PERTINENTS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
[3] Le demandeur chasse l'orignal sur une terre du domaine public depuis de nombreuses années. Au fil du temps, il s'attribue un territoire d'une superficie d'environ 150 acres qu'il entretient minutieusement. D'ailleurs, il en fixe les limites que tous les autres chasseurs respectent.
[4] Le 12 février 2012, il vend aux défendeurs son territoire de chasse au prix de 7 000 $ payable en deux versements, dont l'un de 400 $ à la signature et l'autre de 6 600 $, le 30 juin 2012. Toutefois, le contrat de vente ne mentionne pas que le territoire de chasse est situé sur une terre du domaine public.
[5] Quelques jours plus tard, les défendeurs réalisent qu'ils n'ont aucun territoire de chasse exclusif, puisqu'il est situé sur une terre du domaine public. Dès lors, ils appellent le demandeur pour annuler la transaction et être remboursés du premier paiement, mais ce dernier refuse et exige d'être payé.
ANALYSE
[6] La vente est un contrat par lequel une personne transfert la propriété d'un bien ou d'un droit à une autre personne:
«C.c.Q. art. 1708: La vente est le contrat par lequel une personne, le vendeur, transfère la propriété d'un bien à une autre personne, l'acheteur, moyennant un prix en argent que cette dernière s'oblige à payer.
Le transfert peut aussi porter sur un démembrement du droit de propriété ou sur tout autre droit dont on est titulaire.
[7] Pour transférer la propriété d'un bien ou d'un droit, encore faut-il en être propriétaire:
«C.c.Q. art. 1716: Le vendeur est tenu de délivrer le bien, et d'en garantir le droit de propriété et la qualité.
Ces garanties existent de plein droit, sans qu'il soit nécessaire de les stipuler dans le contrat de vente.» (Nos soulignés)
[8] Le demandeur vend un territoire de chasse pour lequel il ne peut fournir aucun titre de propriété. D'ailleurs, la preuve révèle que le demandeur occupe un territoire de chasse situé sur une terre publique au sens de la Loi sur les terres du domaine de l'État[2] pour laquelle il n'a aucune autorisation gouvernementale.
[9] Les terres du domaine de l'État sont accessibles à tous et la Loi sur les terres du domaine de l'État interdit à toute personne de s'en attribuer une partie, afin d'empêcher d'autres personnes d'y avoir accès:
«Art. 1: La présente loi s'applique à toutes les terres qui font partie du domaine de l'État, y compris le lit des cours d'eau et des lacs, de même que les parties du lit du fleuve Saint-Laurent et du golfe du Saint-Laurent appartenant au Québec par droit de souveraineté.»
«Art. 53: Toute personne peut passer sur les terres du domaine de l'État, sauf dans la mesure prévue par une loi ou par un règlement du gouvernement.
Toutefois le droit de passer et de séjourner sur les terres sous l'autorité du ministre s'exerce conformément aux normes prescrites par le gouvernement par voie réglementaire.»
«Art. 54: Nul ne peut ériger ou maintenir un bâtiment, une installation ou un ouvrage sur une terre sans une autorisation du ministre ayant l'autorité sur cette terre. Cette autorisation n'est pas requise dans l'exercice d'un droit, l'accomplissement d'un devoir imposé par une loi ou dans la mesure prévue par le gouvernement par voie réglementaire.»
«Art. 55: Nul ne peut construire ou améliorer sur une terre du domaine de l'État un chemin autre qu'un chemin minier ou qu'un chemin en milieu forestier sans obtenir au préalable l'autorisation écrite du ministre aux conditions que celui-ci détermine.»
[10] Le seul fait qu'il ait délimité son territoire et qu'aucun autre chasseur n'empiète sur son emplacement, ne lui octroie pas de droit de propriété.
[11] D'ailleurs, la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune reconnaît à toute personne le droit de chasser et interdit à quiconque de faire obstacle à ces droits:
«Art. 1.3: Toute personne a le droit de chasser, de pêcher et de piéger, conformément à la loi.
Le premier alinéa n'a pas pour effet, toutefois, d'établir une prépondérance de ce droit à l'égard d'autres activités pouvant s'exercer sur le même territoire.»
«Art. 1.4: Nul ne peut sciemment faire obstacle à une personne effectuant légalement une activité visée au premier alinéa de l'article 1.3, y compris une activité préparatoire à celle-ci.
Pour l'application du premier alinéa, on entend par «faire obstacle» notamment le fait d'empêcher l'accès d'un chasseur, d'un pêcheur ou d'un piégeur sur les lieux de chasse, de pêche ou de piégeage auxquels il a légalement accès, d'endommager le mirador ou la cache d'un chasseur, d'incommoder ou d'effaroucher un animal ou un poisson, par une présence humaine, animale ou toute autre, par un bruit ou une odeur ou le fait de rendre inefficace un appât, un leurre, un agrès, un piège ou un engin destiné à chasser, à pêcher ou à piéger cet animal ou ce poisson.»
[12] Conséquemment, le Tribunal conclut que si le demandeur était admis à chasser sur une terre du domaine public, il ne détenait aucun titre de propriété sur la parcelle qu'il occupait.
[13] L'article 1713 du Code civil du Québec prévoit que la vente d'un bien par une personne qui n'en est pas propriétaire peut être frappée de nullité:
«C.c.Q. art. 1713: La vente d'un bien par une personne qui n'en est pas propriétaire ou qui n'est pas chargée ni autorisée à le vendre, peut être frappée de nullité.
Elle ne peut plus l'être si le vendeur devient propriétaire du bien.»
[14] Il était une considération essentielle à la vente du territoire de chasse que le demandeur en soi véritablement propriétaire or, tel n'est pas le cas.
[15] Si les défendeurs avaient su que le demandeur ne détenait pas un bon et valable titre de propriété, jamais ils n'auraient acheté ce territoire de chasse.
[16] Dans les circonstances, le contrat est frappé de nullité et est réputé n'avoir jamais existé. Dès lors, chacune doit restituer à l'autre les prestations qu'elle a reçues:
«C.c.Q., art. 1422: Le contrat frappé de nullité est réputé n'avoir jamais existé.
Chacune des parties est, dans ce cas, tenue de restituer à l'autre les prestations qu'elle a reçues.»
[17] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[18] ANNULE la vente intervenue entre les parties;
[19] ORDONNE au demandeur de rembourser aux défendeurs la somme de 400 $ avec intérêts au taux légal de 5 % l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter du présent jugement;
[20] LE TOUT, avec dépens.
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GILLES LAFRENIÈRE, J.C.Q.
Date d'audience: 12 août 2013
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