http://www.lapresse.ca/debats/le-cercle ... demain.phpL'adieu aux armes? Pas pour demain
Caroline Morgan
Traductrice et ex-membre de la classe politique
Avant d'aller à Saint-Louis, une des villes américaines ayant les plus hauts taux de criminalité, je croyais que le port d'armes était une aberration. Quelques jours dans la ville et la lecture de plusieurs articles m'ont fait comprendre comment des personnes se sentant vulnérables peuvent en venir à s'armer pour se protéger.
En fait, au lieu de juger de haut les Américains, nous devrions plutôt nous compter chanceux de vivre au Canada, où la circulation des armes est restreinte depuis longtemps. Aux États-Unis, impossible de freiner d'un coup sec un cercle vicieux de plus de deux cents ans d'histoire. Par exemple, après la tuerie d'Aurora, au Colorado, plusieurs personnes de la région même se sont armé les jours qui ont suivi, désireuses de se protéger elles-mêmes! Dans ces conditions, comment désarmer les propriétaires de fusils sans qu'ils ne se sentent vulnérables? Comment interdire la vente d'armes sans encourager le marché noir?
On achète des armes pour se protéger contre les humains en ville, contre les bêtes sauvages en région rurale, pour pratiquer la chasse ou le tir sportif, voire même pour les collectionner. (Remarque: en France, les armes de collection doivent être obligatoirement neutralisées, c'est-à-dire modifiées de façon à être inaptes au tir).
Depuis la tuerie de Newtown, les «anti-armes» érigent en exemple le Japon, où seuls les fusils de chasse et les carabines à air comprimé sont permis; de leur côté, les «pro-armes» de s'armer brandissent le cas de la Suisse, où les citoyens conservent leur arme de service militaire (ce qui n'empêche pas le débat du contrôle des armes de ressurgir de temps à autre). De telles comparaisons sont futiles, car ces deux pays et les États-Unis ont chacun leur histoire et leur mentalité propres.
Par contre, on comprend mal pourquoi des civils américains s'équipent en armes militaires ou policières, comme celles qui ont servi vendredi matin. Il est encore plus ahurissant de constater que ces armes sont vendues dans des magasins comme Walmart, classées dans la catégorie «chasse», bien que certains modèles, comme le Sig Sauer M400 et le Colt LE6920, aient été spécifiquement conçus pour les forces de l'ordre. On retrouve ici la fascination morbide de nos voisins pour une puissance de feu aussi inutile que dangereuse.
Il est aussi pénible d'entendre certains Américains parler si souvent de liberté de porter des armes, sans mentionner la responsabilité qui l'accompagne. Celle de suivre des cours de maniement et d'entretien, d'entreposer ses armes de façon sécuritaire, de les enregistrer pour qu'elles puissent être tracées en cas de vol ou de perte.
Certains choisissent de s'armer pour se protéger contre les agresseurs. Néanmoins, ces armes peuvent aussi transformer des disputes conjugales en tragédies. Les armes à feu et la rage au volant ne font pas non plus bon ménage. Enfin, il y a le risque de vol, d'accident, de suicide... et aussi de jeunes perturbés en colère.
En résumé, acheter une arme, c'est peut-être se protéger, mais c'est aussi introduire un risque dans sa maison et sa communauté. D'un autre côté, il est difficile de dissuader quelqu'un de s'armer pour se protéger s'il ne peut pas quitter son quartier mal famé de Saint-Louis ou d'une autre ville américaine. Même si on peut espérer des lois plus sévères, ce n'est pas demain que les Américains feront leur adieu aux armes.