Je l'avoue, je suis un jobber de la chasse. J'ai commencé sur le tard, à 23 ans. Pas de chasseur dans ma famille immédiate, sinon un cousin assez proche, de bons amis chasseurs, un trip de perdrix à St-Michel-des-Saints et voilà. Pas un naturel mettons.
J'ai plein d'intérêts. J'aime me retrouver dans le bois, observer les oiseaux, les bestioles en général. Ma première expérience au chevreuil s'est conclue par une anecdote savoureuse (pas racontable ici, du moins, pas tout de suite...) et de nombreuses chances ratées par je dirais un manque petit manque de talent (et, beaucoup, par manque de pratique au champ de tir et manque de temps, pas d'excuses!!!). Mon bilan au chevreuil en 14 ans est je dirais même gênant. Pas un panache sur le mur, même pas un maudit spike!!! Pourtant, je continue...Je ne suis pas maso, je continue parce que j'aime la chasse. Chasseur amateur autant qu'amateur de chasse. Par contre, passer de grandes journées entières à la chasse quand les enfants courent à épuiser maman à la maison, je me sens mal et j'y vais par petites doses. Mais quand j'y vais, je me donne à 100%.
Au camp, je suis le genre qui contribue à l'ambiance. Un chasseur de vestiaire. Intégrer un groupe de chasseurs aguerris qui m'ont accueilli à bras ouverts m'a été facile, même si mes nombreuses gaffes ont fait école...
À l'automne 2012, je réussis à convaincre les gars de la gang à aller suivre le séminaire de chasse au dindon à Farnham. Nous sommes 6.
Achat de gugusses, ardoise, boîte, diaphragmes, etc., bref, toute la panoplie de patentes qui énervent maman et les enfants de par le son, mettons, "particulier"...Pogné pour pratiquer dans la cave, dans le char ou quand chu tout seul à maison, c'est-à-dire, pas souvent...
Première saison, 2013. Matin de l'ouverture, à Bromont sur la terre de mon bon ami agronome Pierre. Dors pas de la cibole de nuite, doux mélange de fébrile et de gastro. Mais dès la première réponse d'un gobbler au doigté magique de l'ardoise de mon partner, ce fut la piqûre. Ce matin là, la joute verbale a duré une heure, avant que le gros joualvert s'éloigne sans qu'on l'ait vu...Pas grave, j'ai eu du fun. Pis la chiasse aussi...
Deuxième matin, le dimanche d'après. Pierre réussit à faire sortir le big boy de la troupe, mais hors de portée de fusil. Il passe en coup de vent en suivant une femelle. A suivi une troisième matinée sans histoire.
Mais j'étais piqué. Solide.
2014. J'ai eu accès l'an dernier à un beau petit terrain de jeux pour le chevreuil grâce à mon bon ami Jean-Sébastien. Et, à notre plus grande surprise, nous y avons vu des dindons à quelques reprises. Je demeure à St-Hyacinthe, les dindons ne sont pas encore implantés dans le coin comme en Estrie et le hasard veut que les seuls dindons que j'ai vus à St-Hyacinthe, je les ai vus sur la terre où j'ai le droit de chasse...Mettons que j'avais hâte au printemps...
Visite du terrain en janvier. Nous tombons sur un groupe d'une bonne vingtaine d'individus. Et nous avons maintenant une bonne idée de l'endroit du dortoir, une zone de gros pins au milieu d'un typique bois à buck, swampeux. Ça promet!
Mars et avril, je vais souvent faire un tour de char le soir pour les localiser. Aucun signe des glou-glous! Braconnés, déplacés, envolés, en 7-8 visites de soir et de matin, rien, aucun signe d'alimentation dans les champs, aucune parade à la mi-avril, rien. Regain d'espoir la semaine de l'ouverture quand un matin, réveillé de bonne heure, je suis parti en pyjama faire un tour de char au milieu du bois et, une séance de boîte plus tard, l'espoir revenait: il restait au moins un gobbler dans le coin. Puis, durant la ride de retour, trois jakes un peu maigrichons traversent le chemin. L'espoir renaît pour vendredi matin...
Vendredi 25 avril: la veille, petit tour de reconnaissance avec mon partner. Pas beaucoup de signes de vie, sinon quelques grattouillages, quelques traces de pattes mais rien de convaincant. Le champ qui jouxte le boisé a été semé en blé l'an dernier puis labouré, pu rien à bouffer là. Hors de question de chasser avec vue sur le champ, on va chasser dans le bois. Déjà là, j'ai l'impression de déjouer les odds...J'ai lu que les dindons n'aiment pas les obstacles. comme les ruisseaux. Nous installons donc la tente près du ruisseau qui sépare les 2 boisés, dans une éclaircie, vis à vis un ponceau. Je juge que ce pont constitue un excellent goulot d'étranglement pour les dindons. C'est ici que s'installera le gars avec un étranglement de fusil adapté à la chose, pis son chum à l'arbalète...
Lendemain matin, jour J, jour D. Debout à 4H22, parké à 4H40, installés dans la tente à 4H55 tapant. Vers 5H10, premier yelp avec la boîte. Rien. Et ainsi de suite jusqu'à 9H15...Pas un gobble, pas une réponse, rien. Découragés ben raides! Le troupeau a peut-être subi des pertes dans c'maudit hiver, le bois est grand, impression de chercher une aiguille dans une botte de foin...
La semaine qui suit fut éprouvante. 4 jours su'l cul avec un mal de ventre. Et quand j'ai ressuscité d'entre les morts, matins venteux, matins pluvieux, belle température de dompe! Je vous le dis que j'ai peu de temps pour cause de vie familiale. J'ai pas énormément de cartouches dans ma manche mettons. Je veux choisir mes matins. MON matin...
Mardi soir 6 mai. Canadiens-Boston. Le hasard veut que Dale Weise compte le but gagnant. Le numéro 22. Le 22, chiffre fétiche de mon petit gars de 4 ans pour je ne sais quelle obscure raison. Chiffre qui orne son chandail bleu-blanc-rouge. Dale Weise, le jobber ultime. Dale Weise, héros d'un soir.
5 heures de sommeil plus tard, je me lève encore une fois à 4H22. Tout seul comme un coton, mon partner a décidé de se reposer avant d'aller travailler. Et pourtant...Je retourne à ma place à laquelle je crois de moins en moins. Faut dire que je suis allé me prendre pour une chouette à quelques reprises le soir depuis la débandaison de l'ouverture. Rien pour me donner une érection, pas de réponses, pas d'signes de dindons...Installe Funky Chicken pis sa dame à 60 pieds devant la tente. 5H10, j'effectue mes premiers appels. 5H15 première timide réponse, au loin. Je call comme un débutant, un jériboire d'amateur. Je call pas pire, mais ben trop rapproché. J'ai environ 4-5 réponses avant que ça cesse, probablement énervé par ce calleur de fortune qui se croit encore dans son salon en train de se pratiquer. Boîte, ardoise, diaphragme, je suis un buffet all-dressed. Buffet chinois de douteuse qualité...
S'ensuit une période morte de 30 minutes. J'essaie toutes sortes de sons, pour le fun. Pas de vent, le son porte bien. Je purr, je cutt, je yelp.
Vers 6H15, désabusé, désemparé, je ramasse ma boîte et je lâche un yelp désintéressé. "Gobble gobble gobble!!!" Fort. Pas loin. Pas loin pantoute!!! Coup de luck? J'attends une minute, une minute 30. Coup de boîte encore, mais cette fois, concentré, conscient, je fais ça en augmentant progressivement la tonalité. "Gobble gobble gobble!" Le dialogue est établi, j'en suis conscient. La joute se poursuit ainsi pendant environ 10 minutes qui me paraissent une éternité. Un moment donné, c'est tellement proche, je me dis, hey! champion!!!, tu vas avoir une chance!!! La patate commence à me débattre. Je décide alors de diminuer l'intensité des yelps, pour pas l'apeurer. Le dernier yelp avait été assez agressif, je voulais le crinquer solide.
Je vois soudainement apparaître la BÊTE!!! Drette devant moi, face à moi, dans le beau chemin rectiligne, apparaît un beau tom en parade. Il barre là solide. C'tu moi qu'il a vu, ou les decoys?!? M'en crisse, je me sacre une seconde ou deux hors de sa vue, calé dans ma chaise. Là, la patate pompe en tabaslak!!! J'en profite pour lâcher un yelp discret avec la boîte. Je le vois alors s'avancer tranquillement, comme un jar. Il peut pas être plus face à moi. Arrête de niaiser le grand, débarre ton gun!!! Ce que je fais dans la seconde.
Tranquillement, je sors le canon par le châssis de la tente. J'ai pris soin de mettre un point de repère à 80 pieds, une branche dans le chemin. Pour une fois, j'ai pris soin de faire mes devoirs, j'ai patronné mon nouveau fusil Remington 870 avec choke turkey extra full. À 80 pieds. Il continue d'avancer vers les appelants, impérial. Mal placé de face. À 90 pieds, il part tranquillement vers sa droite, à ma gauche. Il est maintenant de côté, dégagé. J'ai mon diaphragme dans yeule mais j'ai on dirait peur de faire un putt final d'étirage de cou...Je crache le diaphragme de peur de m'étouffer quand je claquerai le coup...
Il est de côté et s'en va vers le plus sale...80 pieds ou 90 pieds, avec l'arme que j'ai, des balles plus fortes que mes balles avec lesquelles j'ai pratiqué. Pour une fois dans ma carrière de chasseur, pour une estie d'fois, j'ai jamais été aussi confiant, moi le jobber, moi le sans confiance, moi le gars qui a raté souvent des perdrix arrêtées à 25 pieds.
BANG!!! Pu d'son, pu d'lumières, même pas un backfire. Foudroyé net frette sec. Le kisser dans les feuilles, son beau cul jacké dans les airs. Je jubile.
Je capote. J'en braille quasiment.
Ce beau ti-tom de 17 livres vidé avec une barbichette un peu atrophiée de 5 pouces et de petits ergots de rien (1/2 pouce), c'est pas mêlant, il m'a donné les plus belles sensations de ma carrière de chasseur. J'en ai encore des frissons, près de 48 heures plus tard.
Quand j'ai installé les decoys, dans le film qui roulait dans ma tête, le dindon se présentait dans cette putain de trail et venait vers moi comme il l'a fait. Prémonition? Préparation? Chance?
Bonne place au bon moment, la chasse, c'est un peu ça. Une petite dose d'acharnement.
Comme Dale Weise, ce négligé. Ouais, je me sens comme Dale Weise en échappée. Pas eu souvent l'occasion de briller dans ma carrière de chasseur. Y'a un peru de Dale Weise là-dedans. Son but de la veille. Le chandail de mon ptit Vincent, comme son gilet. Le cadran à 4H22, comme son chandail.
Mercredi 7 mai, c'était mon tour! Il finira au fumoir et en rillettes. On le fêtera comme il se doit.