J'examine les excréments. Ca me paraît bien. Deux petits monticules, gros comme le poing, constitués de crottes noires de la taille d'un grain de raisin. D'après leur aspect ils sont là depuis hier soir. J'examine les alentours de manière systématique. Je découvre d'autres traces de passage. Des excréments plus anciens. Des branches cassées. Des herbes piétinées par les sabots. Je m'éloigne d'une dizaine de mètres, jusqu'à repérer un arbre suffisemment solide et correctement situé. J'y grimpe et m'installe sur une branche épaisse. Je me cale bien, adossée à un tronc, les jambes dans le vide. Ici ça m’apparaît peu crédible, je ne suis pas archer mais je ne crois pas qu’Il soit possible de tirer précisément avec un arc en demeurant assis à cheval sur une branche. Surtout vous pouvez également mentionner que vous avez le derrière engourdi (mais de façon plus poëtique), car assis sur une branche quelques heures sans bouger, c’est un calvaire, de la torture.
Je suis à quatre mètres au-dessus du sol, dans l'ombre du feuillage, mes vêtements ont la couleur de la forêt, mon odeur est réduite autant que je peux, j'ai la vue dégagée. Je me détends. Mon arc est posé sur les genoux. Mon sac accroché à une branche, il ne peut pas tomber. Si le vent ne tourne pas tout sera parfait. J'appuie ma tête à l'écorce moussue. Je lève les yeux au ciel. Je regarde le bleu traversé de blanc à travers le vert sombre en contre-jour à l'avant-plan. Je laisse aller mes pensées ; je ne pense à rien vraiment ; tout glisse en moi sans se prendre nulle part ; je me ressens comme une eau calme et propre, une rivière au courant calme. Le temps passe. La lumière change. Un léger vent se lève, pendant un moment, puis s'apaise. Des petits animaux passent. Des oiseaux. Un lapin. Ca n'est pas ceux-là que je veux. Le soleil descend. L'horizon se teinte de rouge ; le reste du ciel se dégrade de ce rouge jusqu'au violet tendre qui me surplombe, qui laisse voir quelques étoiles, qui accentue la profondeur du ciel et fait persister dans mon ventre l'idée de l'infini ; la pénombre remplit petit à petit le sous-bois, l'ombre m'enveloppe. Quand j'entends le craquement que j'attendais depuis que je suis postée à mon affut, je prends mon arc. J'ai la main droite fermée sur la poignée. Lentement, de la main gauche, je tire de mon carquois une flèche. Je l'encoche. Les chevreuils sont là. Une famille. Ils sont à une douzaine de mètres environ. Il y a deux jeunes et deux adultes. Le plus gros, le male, mesure environ 65 centimètres au garrot ; j'estime son poids à 25 kilos ; il est plutôt maigre. Toute la famille est occupée à brouter des jeunes pousses, des branches tendres et des feuilles. Je ne suis pas dans leur champ de vision. Je bande mon arc sans bruit. Je vise le male. De l'endroit où je me trouve, les poumons sont la seule zone mortelle que je peux viser. Je tire. Le male prend la flèche entre les côtes. Il y a un mouvement de panique et les quatre bêtes s'enfuient. Je descends de mon arbre. Ici, c’est peu crédible, qu’importe l’expérience du chasseur, normalement après un tir de gibier, il y a un rush d’adrénaline qui fait en sorte qu’on prend une pause, on demeure immobile et on écoute la course folle du gibier mortellement touché afin de faciliter la recherche ensuite. Moi je fais toujours une pause après un tir, question de faire tomber l’intensité un peu.Il y a encore suffisemment de lumière pour que je puisse suivre la piste par le chevreuil que j'ai tiré. Si votre chevreuil fait 25 kg et que vous êtes avec un arc moderne et un tir au poumon, selon moi vous devez en premier lieu chercher votre flèche au sol qui aura nécessairement traversé l’animal,La couleur du sang sur la flèche, l’aspect des poils qui sy trouvent collés etc. vous donneront des indices sur la qualité de votre tir. Les gouttes de sang. Les branches cassées. Les herbes piétinées. Au bout d'une demi-heure je le retrouve. Il est allongé sur le flanc. Il est agonisant. Donc ic,i vous n’avez pas fait un tir au poumon, ou votre tir n’est pas celui que vous avez décrit plus haut. Probablement un tir au foie…un tir au 2 poumons …c’est quelques secondes avant de mourir au max quelques minutes. Mais en quelques secondes l’animal à tout de même le temps de parcourir plusieurs dizaine de mètre voire centaine de mètres…selon une multitude de facteur.Il me regarde. Son œil exprime la peur. Le soleil est en train de se coucher. Les ombres sont profondes. Je sors de mon sac mon couteau, j'empoigne le museau du chevreuil, je lui relève la tête, je lui ouvre la gorge ; il meurt. Disons dans le cas ici c’est plus facile à écrire qu’à faire, vous êtes donc en mode survie et c’est une minorité de chasseur qui se rendent là. Je le laisse un court moment se vider de son sang puis je l'empoigne par les pattes arrières et le traine jusqu'à une clairière. Je m'occupe du feu pendant que le soleil termine de se coucher ; je creuse une fosse peu profonde à l'aide de ma pelle pliante. Je vais remplir des gourdes à la rivière. Je remplis d'eau une bassine. Ensuite je prends mon couteau et reviens au chevreuil, que je place sur le dos comme je peux. Je lui ouvre le sternum en descendant jusqu'à l'entrejambe. Je découpe ensuite tout autour de l'anus puis je sectionne la peau entre la cavité rectake et le pelvis, puis, dans le prolongement de l'ouverture du sternum, je découpe la peau de la cage thoracique, que j'ouvre avec mes deux mains. L'odeur qui se dégage est puissante. Le sang qui couvre mes mains les rend glissantes. Je m'essuie. Je reprends le couteau pour découper la membrane entre les côtes et les organes vitaux. Je m'occupe ensuite de l'oesophage. Quand il est bien dégagé, je le tire fortement vers moi. Le reste des organes suit. Je jette tout le paquet dans la fosse. Je retire ensuite l'anus et le rectum, je découpe le pénis et les testicules, tout ça va dans la fosse, suivi des entrailles. La cage thoracique est vide. L'odeur de sang et de merde est ennivrante et se mêle à l'odeur douce du feu. Je transpire légèrement, à cause de l'effort. Je retourne le chevreuil sur le ventre. Le temps que le sang termine se s'égoutter je me lave les mains, après quoi je remets le chevreuil sur le dos et découpe la viande.
Voilà c,est mon grain de sel.
Yann
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