À la fin décembre 2008, j'ai reçu un appel d'un de mes compagnons qui fait partie d'un petit groupe de chasseurs qui collabore avec moi à la production d'un DVD sur la gestion des populations de chevreuil et l'aménagement de leur habitat par le chasseur. Lui-même chasse à l'arc en Ontario à 45 minutes de chez moi et, lors de notre conversation, il m'a fait part du très faible niveau d'activité autour des appâts déposés ça et là depuis quelques semaines. À plusieurs reprises nous avons abordé l'effet important de la température du jour sur les mouvements du chevreuil.
Je lui ai mentionné qu'ayant chassé activement plus de trois mois par année durant les 20 dernières années, j'avais régulièrement eu l'occasion de remarquer l'effet positif ou négatif des conditions climatiques du jour. Sans disposer d'une science absolue, la prédiction juste des mouvements des cerfs selon les variations du climat m'a souvent rapporté gros. Une bonne appréciation de la température ambiante jumelée à d'autres facteurs comme le vent, les précipitations, la phase de la lune et le moment dans la saison de chasse peuvent notamment vous mener à choisir un emplacement plutôt qu'une autre. Voici pourquoi et comment.
La thermorégulation est le mécanisme régulateur par lequel la température interne des mammifères se maintient constante. Il comprend notamment le fait de se protéger contre les grandes variations de température qui surviennent durant les différentes saisons ou même entre deux journées consécutives. Les humains subissent les mêmes contraintes, mais ils peuvent plus facilement s'en accommoder en enlevant un manteau, une chemise ou en ajoutant un vêtement supplémentaire. Le chevreuil, surtout celui du nord, n'a pas cette option et dès septembre il commence à accumuler de la graisse tandis que son pelage épaissit. Normalement, il s'en tire bien puisque ces changements physiques s'opèrent lentement au même rythme que le refroidissement de la température moyenne saisonnière.
Comme chez la plupart des mammifères vivant au nord, le principe biologique de Bergman s'applique au chevreuil. Les individus du nord tendent à être plus gros que ceux de la même espèce vivant plus au sud. Cet avantage sélectif a pour effet de diminuer la surface totale de corps exposé aux éléments par rapport au poids de l'animal, ce qui diminue la perte de chaleur par température froide. Si vous voulez des gros chevreuils, allez chasser au nord dans les montagnes du Mont-Tremblant, en Gaspésie, dans le nord-ouest ontarien ou dans les grandes forêts du nord des provinces de l'ouest canadien. Nous verrons plus loin que cet avantage nécessite aussi des ajustements.
Une autre adaptation est que la fourrure des chevreuils habitant plus au nord, donc ceux du Québec et d'ailleurs au Canada, est généralement de couleur plus sombre et absorbe donc plus d'énergie solaire. Cette modification contribue directement à diminuer la perte de chaleur. Ces deux adaptations procurent à ces chevreuils une meilleure résistance au froid, mais aussi une moins bonne tolérance aux journées chaudes hors saison.
Voyons ce que cela signifie pour nous chasseurs. Commençons par la fin du mois de septembre, lorsque la saison de l'arc et de l'arbalète bat son plein. Imaginons une canicule de quelques jours à 25 °C. On s'attendrait à ce que le chevreuil devienne nocturne pour tirer avantage des nuits plus fraîches. Bien qu'il y ait une diminution de l'activité journalière durant cette période de l'automne, cette vague de chaleur aura peu d'effet pour la plupart d'entre nous.
Certes, on observera un petit décalage des mouvements quotidiens, mais il sera davantage vers la fin de la journée et tôt le matin. Les quelques études ne montrent pas d'accroissement des mouvements nocturnes mais une légère diminution des mouvements en milieu de journée. On croit que la vague de chaleur provoque une croissance inhabituelle de certains végétaux, pour ce temps de l'année, et ces pousses sont grandement appréciées des chevreuils. Ceux-ci semblent ignorer la chaleur pour se gaver de cette manne additionnelle de fourrage.
Certains chasseurs auraient cru que le cerf se comporte comme l'orignal, qui devient presque nocturne lors des canicules de septembre ou se cache dans les forêts plus humides de conifères pour bénéficier des sous-bois plus frais. Mais le pelage de l'orignal est beaucoup plus foncé que celui du chevreuil, ce qui le rend plus vulnérable à la chaleur solaire, et son corps étant beaucoup plus gros, il absorbe beaucoup plus de chaleur. Finalement, il est en période de rut, ce qui accélère son métabolisme et a tendance à favoriser une «surchauffe». Tous ces facteurs poussent l'orignal à se tenir au frais pendant quelques jours.
À l'opposé, ce sont plutôt les journées froides et pluvieuses de la fin septembre et du début octobre qui ont tendance à inhiber les mouvements du chevreuil, du moins en milieu plus ouvert où nous sommes habitués à le chasser. Nous croyons que leur couche adipeuse n'est pas encore assez importante et leur pelage pas assez dense pour qu'ils choisissent de s'exposer quand le climat leur est désagréable.
De plus, ces journées froides et pluvieuses sont souvent accompagnées de vent et cela coïncide avec les premières chutes de feuilles importantes. Les chevreuils sont nerveux et commencent à changer d'habitat puisque les forêts de feuillus n'offrent plus la même sécurité.
Lors d'une telle journée, je rapproche mes activités de chasse des forêts de conifères denses et surtout de celles à proximité d'une source alimentaire comme un petit chablis ou une coupe sélective d'une dizaine d'années. Si cette journée est accompagnée de grand vent, je cherche le même type de couverture contre les intempéries mais à l'abri du vent, comme une «swamp» coniférienne, une plantation d'épinettes non élaguées ou un flanc de coteau protecteur.
En réalité, ce n'est pas avant la fin octobre que les chevreuils commencent à être affectés par des journées beaucoup plus chaudes que la moyenne saisonnière. Comme je tiens un carnet de terrain avec quelques groupes d'amis qui chassent activement à ces périodes dans l'est du Canada, et que depuis plusieurs années je chasse aussi dans l'ouest du pays, je suis en mesure de certifier que pendant les journées où la température est au moins 5 à 6 °C plus élevée que la moyenne l'activité des bucks matures ralentit considérablement et même cesse totalement. Les femelles semblent moins touchées. Lorsque le rut approche, la chaleur dérange moins l'activité du chevreuil de jour que l'action d'une pleine lune au milieu du mois de novembre par exemple.
Comme les extrêmes de température sont moins marqués en novembre durant le rut du chevreuil qu'en septembre durant celui de l'orignal, la chaleur empêche moins les mouvements durant le rut du premier qu'elle peut le faire pour le second. J'ai constaté que si on chasse pendant une chaleur anormale durant la première moitié de novembre, l'arrivée d'une période plus froide déclenche souvent une ou deux journées particulièrement actives.
Ce sont plutôt les pointes de froid marquées qui stimulent les déplacements majeurs des mâles en besoin de procréer. Une vague de froid tôt ou en milieu de novembre change souvent les données. En effet, les bucks ne mangent pas beaucoup durant le rut, leur métabolisme tourne à plein régime et leur seul moyen de garder un peu de chaleur est de bouger. La testostérone aidant, ces journées froides de novembre sont une bénédiction pour le chasseur. Les parties bien ensoleillées de votre territoire attireront des femelles et un mâle suivra peut-être.
Si une vague de froid intense touche votre secteur après le 20 novembre, l'activité ralentit souvent au point d'arrêter complètement les effets du rut. Beaucoup de chevreuils commencent leur migration hivernale, surtout si la neige est de la partie.
En décembre, de plus en plus de Québécois franchissent la frontière ontarienne pour pouvoir vivre quelques jours ou même une semaine supplémentaire de chasse au chevreuil durant la saison du post-rut. Il peut arriver que vos sorties coïncident avec une petite recrudescence de ce qui pourrait ressembler au rut, quand une jeune femelle retardataire en œstrus attire quelques mâles. Mais durant ce mois le mot thermorégulation prend tout son sens.
Le métabolisme des chevreuils commence à ralentir alors qu'ils entrent dans leur torpeur hivernale, et plus il fait froid, plus ils essaieront de tirer avantage des appâts riches en carbohydrates comme les moulées spécialisées à bovin ou à cheval avec de la mélasse, ou du blé d'Inde pur. Bref, c'est presque le bonheur. Par contre, règle générale en décembre on connaît des belles journées plutôt clémentes et même très chaudes comparativement à la moyenne saisonnière.
Ce sont ces vagues de chaleur que vous voulez éviter, car les chevreuils de cette province ont survécu à plus de deux mois de chasse intensive et ils sont attentifs au moindre signe de danger. Par journée chaude, ils choisiront souvent de profiter de leur épaisse fourrure pour se reposer au soleil à l'abri du vent et de simplement attendre la nuit pour venir manger au champ ou aux appâts.
Le froid est presque une nécessité absolue pour connaître du succès à cette date. Quelques journées à -10 °C auront vite fait de pousser les chevreuils vers les appâts environnants ou les sources de nourriture naturelles. Si la journée est froide et ensoleillée, les chevreuils bougeront plus tôt en fin de journée et certains mâles et femelles profiteront du midi pour faire une petite visite éclair. Les nuits trop froides les garderont inactifs sous le couvert thermique des cédrières avoisinantes.
Pour terminer, pensez à votre sensation si vous vous déplaciez en t-shirt à la fin septembre par vent froid ou en manteau de fourrure en novembre lors d'une journée chaude et ensoleillée. Dans les deux cas, vous rechercheriez l'aide du couvert forestier et des éléments naturels pour régulariser votre température. Le chevreuil fait de même, alors chassez en conséquence.
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